Je sais les mots

Je sais les mots blessants qui déchirent le cœur

Bien plus sûrement qu’une lame de couteau,

Les mots puisés dans les marais de nos frayeurs

Chantant blanche colombe et bave de crapaud,

Les mots d’amour menteurs qui fanent et s’étiolent,

Les mots qui mordent sans jamais lâcher leur proie,

Les mots qui aveuglent, les mots qui vitriolent,

Les mots soufflant le chaud, les mots soufflant le froid,

Je sais les mots comme des balles de fusil

Crachant leur feu au mur des basses trahisons,

Les mots coup de grâce, les mots euthanasie,

Les mots qui lentement rongent comme un poison,

Les mots cinglants que l’on prend comme une gifle,

Les mots qui insinuent, les mots qui sous-entendent,

Perfides et glacés comme le vent qui siffle,

Balaye et soulève les sables de la lande,

Je sais les mots fondus au creuset religieux,

Les mots de chanvre au cou de ceux qui vont se pendre

Aux potences de la haine dressées pour eux,

Je sais les mots taillés pour blesser et pourfendre,

Les mots crachés aux fronts de la honte empourprés,

Les mots que l’on vomit comme on vomit la bile

De la rancœur et sa vengeance perpétrée,

Les mots-flèches que l’on décoche dans le mille,

Ceux que l’on dégoupille aux yeux de l’innocence

Comme une grenade jetée en pleine foule,

Ceux qui explosent en plein milieu du silence

Chargés d’opprobre et de l’injure qui défoule,

Je sais les mots inoculant le doute infâme

Pour salir, diffamer, trahir et mettre à nu,

Les mots qui lacèrent la peau tendre de l ‘âme

Comme un nerf de bœuf s’abattant sur la chair nue,

Mais les seuls dont on meurt, je le sais maintenant,

Les seuls dont on meurt sont ceux que l’on ne dit pas,

Comme les mots d’amour que jamais je n’entends

De tes lèvres aimées. Seul, le bruit de tes pas…